ISRAËL
sur la terre des ancêtres
1.
Le sionisme: son histoire
Les origines du sionisme. – «Le Seigneur vous dispersera parmi tous les peuples d’une extrémité de la terre à l’autre.» Et le Deutéronome ajoute: «Vous ne trouverez aucun repos ni même où asseoir la plante de vos pieds, car le Seigneur vous donnera un cœur agité de crainte.» C’est ainsi que le peuple d’Israël, le peuple élu de Dieu, dut, après son crime, abandonner « le pays de lait et de miel», et chercher refuge dans tous les pays du monde.
Mais dans son exil il conserva toujours l’amour, la nostalgie de la patrie perdue. Au fond des ghettos de l’Europe orientale ou de l’Amérique, le même désir, la même aspiration, unissait le cœur des dispersés. «L’an prochain à Jérusalem!» Le sionisme est déjà en germe dans cette lamentation qu’Israël n’a cessé de pousser au hasard de ses pérégrinations sur des terres qui lui furent diversement hospitalières.
A l’origine, le sionisme fut surtout, comme on dit aujourd’hui, une mystique. Il résultait, ainsi que l’observe Max Nordau, «d’impulsions spontanées, d’un enthousiasme pour l’histoire et le martyrologe du peuple juif, de l’ambition de sauver le tronc antique». C’est le sentiment de la race qui, à la fin du xviiie siècle, inspire au juif allemand Moïse Mendelssohn une sorte de messianisme, qui sera repris par le juif russe Pinsker et par le véritable fondateur du sionisme, Théodore Herzl. Mais ceux-ci ne se contentent pas d’aussi vagues aspirations. Ils les transposent sur le plan politique et même nationaliste. Le premier ébauche la doctrine d’un sionisme qui redonnera au
peuple hébreu non seulement la terre des ancêtres, non seulement la patrie d’autrefois, mais une constitution civile et économique propre. Théodore Herzl renchérit encore. De la question juive, il fait une question de nationalité. Son rêve est de réunir tout le peuple d’Israël dans un Etat juif complètement autonome. Mais où rassembler les 15 ou 16 millions de juifs dispersés à travers le monde? A ce sujet, Herzl n’avait pas d’idée bien arrêtée. Il aurait indifféremment accepté la Palestine ou l’Argentine, ou même l’Ouganda, que lui offrait l’Angleterre. Mais les juifs étaient plus sionistes que cela c’est en Palestine, c’est sur la terre de leurs pères, et non ailleurs, qu’ils brûlaient de revenir, qu’ils ambitionnaient de ressusciter le royaume de Juda!
«L’an prochain à Jérusalem »
Herzl se dévoua corps et âme, se donna tout entier à son rêve. En 1901, il s’entremit auprès du sultan Abdul-Hamid (la Palestine était alors sous le protectorat turc). Il espérait en obtenir une sorte de charte de colonisation. Abdul-Hamid demandait pour cela 50 millions de francs. Herzl se mit alors à solliciter les banquiers juifs du monde entier, notamment les Rothschild. Mais il faut croire que ceux-ci n’avaient pas beaucoup de confiance dans le sionisme ni dans son apôtre, car Herzl ne trouva que 6 millions. On était loin des 50 millions exigés par Abdul-Hamid! Dès lors, celui-ci ne voulut, comme on dit vulgairement, plus rien savoir. Pas d’argent, pas de Palestine
Herzl mourut peu après, en 1904. Mais il laissait des disciples enthousiasmés par son rêve. Ce sont eux qui l”ont, dans une certaine mesure, réalisé. En France, les juifs ne crurent pas tout d’abord au sionisme. Ils le considéraient généralement comme une chimère. Il fallut les premières réalisations les colonies fondées par le baron Edmond de Rothschild pour leur donner un peu de confiance et de zèle. Dès lors, le sionisme suscita dans le judaïsme français une sympathie qui se traduisait d’ailleurs plus par de bonnes paroles que par une générosité effective.
Les juifs d’Amérique et d’Angleterre délièrent plus facilement les cordons de leur bourse. En mourant, le baron Hirsch légua 250 millions destinés à l’émigration des Israélites d’Europe orientale. C’est avec ces premiers fonds que devait se constituer en 1891, à Londres, la Jewish Colonization Association à laquelle son fondateur, le baron de Rothschild, apporta de son côté une importante contribution financière. Puis, par la suite, les livres sterling et les dollars affluèrent, au moins pendant un certain temps, aux Caisses de la Jewish Colonization Association, ainsi qu’à celles du Keren Kayemeth Leisrael (Fonds national jùif) et du Keren Hayessod (Fonds de reconstruction), créés un peu plus tard.
La déclaration Balfour. – En-1917, l’Angleterre, sous le mandat de laquelle la Société des Nations avait placé la Palestine, donna aux sionistes, mais avec les précautions qu’elle sait prendre quand il s’agit de ses intérêts, un grand espoir, que la réalité allait d’ailleurs décevoir d’une façon singulière. La déclaration Balfour (novembre 1917) leur accordait officiellement l’autorisation de fonder un Foyer national juif – National Home – en Palestine. Mais ce Foyer national resterait sous le mandat, sous le contrôle de la Grande-Bretagne qui réservait ainsi l’entière liberté de sa politique. On était loin de l’Etat juif de Théodore Herzl, de la résurrection du royaume de Salomon
Tandis que certains juifs chantaient victoire, d’autres, plus clairvoyauts, élevaient au contraire des doléances et des protestations. «La duperie du mandat, écrit Eberlin (Les juifs d’aujourd’hui), n’a été qu’un acte de charlatanisme mercantile, de tradition dans la diplomatie anglaise. Et le même d’énumérer quantité de griefs contre l’Angleterre « qui refuse de mettre à la disposition de l’immigration juive les terres vacantes de la Palestine », « qui entrave l’immigration des Israélites», et dont les troupes d’occupation « se, conduisent en conquérants brutaux et arrogants».
JEAN REVEL
(Voir la suite page 2.)
La situation actuelle du sionisme. – C’est justement la subtilité, pour ne pas dire la duplicité de la politique britannique qui a engendré la bisbille parmi les sionistes et surtout parmi leurs chefs. Les uns pensent qu’il vaut mieux composer avec l’Angleterre et se contenter du Foyer national juif, en attendant et en s’efforçant d’obtenir davantage. Ce sont les conservateurs, dont le Dr Chaïm Weizmann et M. Nahum Sokoloff s’attachent, au prix de grandes difficultés, à entretenir le zèle sioniste tout en le contenant dans de justes limites. Par contre. M. Jabotinsky et quelques autres ne cherchent qu’à l’affermir et à l’aviver, dans l’esprit et dans le cœur des «révisionnistes». Les Congrès sionistes qui ont eu lieu ces dernières années; à Bâle n’ont fait qu’accentuer la division, élargir le fossé qui les sépare. Les conservateurs s’accommodent, bien qu’à contre-cœur, du Foyer national juif, tel qu’il découle de la déclaration Balfour. Ils ne veulent ni chasser ni déposséder les Arabes. Ceux-ci composent d’ailleurs la majorité de la population palestinienne et ne sont pas disposés du tout à se laisser évincer. L’Angleterre, qui joue sur les deux tableaux, soutient du reste leurs revendications tout en favorisant, ou du moins tout en ayant l’air de favoriser le sionisme. Et c’est justement ce que les partisans de M. Jabotinsky ne peuvent supporter. Ils ne songent qu’à tirer toute la couverture à eux, dussent les Arabes être expulsés au delà de l’Euphrate. Leur extrémisme a été, dans une certaine mesure, la cause des discordes qui sont survenues, à maintes reprises, entre juifs et Arabes.
Par ailleurs, même parmi ses partisans, le sionisme rencontre des critiques acerbes quand ce ne sont pas des détracteurs. Théodore Reinach, qui était sioniste par philanthropie beaucoup plus que par conviction, n’écrîvait-il pas, il y a quelques années, que «le sionisme avait fait faillite»?
C’est d'ailleurs un sentiment de compassion à l’égard de leurs coreligionnaires, souvent victimes de vexations et de persécutions dans les pays où ils sont exilés et notamment dans l’Europe orientale, qui inspire généralement le sionisme des juifs français. Beaucoup d’entre eux sont allés en Palestine, mais combien y sont restés? MM. Fernand Corcios et Edmond Fleg ont fait, l’un et l’autre, un pèlerinage dans la «terre retrouvée»; ils ont été étonnés, émus, ravis de l’œuvre colonisatrice accomplie par les pionniers «haloutzims»; ils ont rapporté d’Eretz Israël des bouquins débordants d’enthousiasme mais iis n’ont pas planté leur tente dans la plaine d’Esdrelon. Ils sont revenus dans leur pays d’adoption, où ils se sont faits les coryphées et les apôtres du sionisme. Le cas de MM. Corcios et Fleg pourrait se multiplier par cent. Les juifs de cette espèce sont trop heureux et trop «assimilés » au pays qu’ils ont choisi pour prêcher le sionisme par l’exemple. Il leur suffit d’être, si l’on peut dire, des missionnaires d’Israël.
Le judaïsme français a, en outre, ses enfants terribles. Il y a quelque temps, un jeune avocat, M. Kâdmi-Cohen, publiait une petite brochure dans laquelle il «esquissait un sionisme nouveau» et fort hardi, qui s’oppose assez violemment aux conceptions et surtout aux méthodes du sionisme actuel. Selon lui, il n’y a pas assez de cohésion entre ses diverses organisations (notamment financières). En outre, la diplomatie sioniste est d’une timidité invraisemblable. Au surplus, comme la Palestine est trop petite pour réunir tous les juifs, M. Kadmi-Cohen envisage «l’extension de l’aire de la colonisation sioniste aux limites que la Genèse elle-même a assignées de la rivière d'Egypte au grand
fleuve, à l'Euphrate».
Comme la plupart de ses coreligionnaires français en particulier MM. Corcos, Fleg, Spire, Bernheim M. Kadmi-Cohen se fait du sionisme une conception purement ethnique, politique, utilitaire et même fortement teintée de socialisme.
Mais ce sionisme-là exclut, ou du moins néglige complètement, la Torah et le Talmud. S’il n’est pas antireligieux, il est au moins areligieux. Et voilà ce qui émeut, non seulement les vieux juifs de Jérusalem qui vont, tous les vendredis, pleurer au Mur des lamentations, mais encore les Israélites qui, dans la diaspora, sont demeurés fidèles à la religion d'Israël, aux prescriptions de la Loi et aux traditions hébraïques, c'est-à-dire les « orthodoxes ». Ceux-ci prétendent que le sionisme a trahi la religion de leurs pères. Dans son livre la
Terre promise, M. Josué Jehouda déplore amèrement le matérialisme sioniste. « Les millions de Rothschild, écrit-il, n’ont été d’aucune utilité pour la régénération de l’âme juive. » De son côté, Ascher Guinsberg voudrait que le sionisme se plaçât sur le plan moral et religieux, autant que sur !e plan politique. A son tour, Martin Buber condamne le nationalisme exclusivement politique de Herzl et de ses disciples.
De ces doléances, rapprochons celles qu’exprimait, dans une brochure intitulée
la Renaissance d’Israël, un juif d’Amsterdam, M. Doblin. Sioniste ardent lui aussi, il considère que l’expérience palestinienne est manquée. Elle a échoué, d’abord parce que les juifs dispersés à travers le monde n’ont pas su prendre conscience de leur force et se sont «volontairement condamnés au rachitisme de l’exil». Une autre cause de sa faillite c’est le choix qu’on a fait de la Palestine pour y ressusciter la patrie juive. M. Doblin l’abandonnerait volontiers aux Arabes quant à lui, ses terres promises sont le Pérou et l’Australie. Il est évident que cette sorte de sionisme sans Sion ne trouvera pas beaucoup de prosélytes parmi ces pauvres haloutzims, askenazims et sephardims qui, dans leurs ghettos, n’ont qu’un désir vivre et mourir sur la terre des ancêtres.
(A suivre.)
JEAN REVEL.
La Croix,
Vendredi, 7 Septembre 1934,
55e année N° 15.813, p. 1-2
Gallica
ISRAËL
sur la terre des ancêtres
2.
Les organisations financières du sionisme
et la colonisation agricole (1)
(1) Cf. Croix du 6 septembre 1934.
La Palestine. Jewish Colonization Association. – Le sionisme créé, il fallait le faire vivre. Il fallait trouver de l’argent pour subvenir eux frais d’immigration et d’installation des colons. A ces dévoués haloutzims qui arrivaient généralement pauvres comme Job, il fallait acheter des terres, un matériel agricole. L’un des premiers et des plus généreux mécènes du sionisme naissant fut le baron Edmond de Rothschild. On ignore le nombre de millions qu’il a consacrés à la fondation des premières colonies. La plus ancienne, celle de Petah-Tikvah, en Judée, remonte à 1878 elle est donc antérieure au sionisme elle rassemble aujourd'hui plus de 10.000 habitants. En Judée encore, le «baron a a fondé Richon-le-Sion, qui est actuellement l’une des colonies les plus importantes et les plus pros-pères. On y cultive la vigne sur une grande échelle on y fabrique – ceci entre parenthèses – un simili-cognac qu’on ne saurait vraiment recommander aux fines bouches. C’est la vigne également que cultivent, en Samarie, les colons de Zikron-Jacob, tandis que ceux de Rosh-Hirah, en Galilée, font du tabac qui… mon Dieu n’est pas plus mauvais que celui de la régie française.
Toutes ces colonies et ce ne sont là que les principales relèvent de la «Palestine Jewish Colonization Association», qui fut fondée à Londres en 189, grâce à un héritage du baron Hirsch et grâce surtout aux générosités du baron Edmond de Rothschild.
Le Fonds national juif. Mais une entreprise de l’envergure du sionisme ne pouvait être suffisamment alimentée par les seuls subsides de quelques dévoués millionnaires d’Israël. Elle exigeait la contribution financière de toute la judaïcité des banques et des affaires. Aussi, dès 1897, les amants de Sion envisagèrent-ils la création d’une vaste organisation destinée à recueillir et à centraliser les donations volontaires des riches coreligionnaires. Ce projet fut réalisé quatre ans plus tard, en 1901, par la fondation du «Keren Kayemeth Leisrael» ou «Fonds national juif».
«Les buts du Fonds national juif, dit M. Sanua, sont: 1° de transformer en propriété collective le sol d’Eretz Israel en se servant des donations volontaires du peuple juif; 2° de donner les terrains exclusivement en bail emphytéotique et en bail héréditaire d’exploitation 3° de faciliter la colonisation des travailleurs sans ressources.»
Nous sommes, comme on voit, en plein collectivisme. Le colon n’est et ne sera jamais qu’un fermier; la propriété du sol qu’il cultive appartient au Fonds national, c’est-à-dire, par identification, au peuple juif. S’il fait des bénéfices, tant mieux il les emploiera à l’amélioration et à l’extension de son fonds de la sorte, c’est le peuple juif qui en profitera. Cette solidarité est même poussée parfois jusqu’au communisme intégral. On cite telles colonies, comme Aïn-Harod, près de Naplouse, qui, il y a quelques années encore (cela a peut-être changé), pratiquaient le plus strict communisme… et n’en étaient d’ailleurs pas plus heureuses.
Aussitôt créé, le Fonds national juif se mit à la besogne. Les gros banquiers d’Amérique, d’Allemagne, de Hollande, de Belgique, de France, de partout, furent gentiment invités à ouvrir leurs coffres-forts. En quelque temps, le Keren Kayemeth Leisrael se procura ainsi un nombre considérable de millions. On n’a jamais pu savoir combien au juste, car la comptabilité sioniste est tenue avec la plus grande discrétion.
Ces sommes ont été investies dans l’acquisition de terrains, dans l’amélioration du sol, dans des travaux de reboisement, dans des constructions rurales et urbaines. «En ce qui concerne la colonisation, dit M. Sanua, le Fonds national juif, qui ne possédait avant la guerre, en 1914, que 25.000 dounams, en a aujourd’hui près de 500000 formant environ 120 établissements, dont 20 en Judée, 19 dans la plaine de Saron, une dizaine aux environs de Jérusalem, 39 dans la vallée de Jezrael (Esdrelon), 19 en Basse-Galilée et le reste dans la vallée du Jourdain et en Haute-Galilée. La population rurale totale, qui était en 1901, de 4.750 âmes, dépasse aujourd’hui 70.000.» Ce chiffre, disons-le en passant, ne correspond pas avec celui donné par d’autres statistiques.
«Le Fonds national juif, poursuit M. Sanua, a drainé et assaini près de 20.000 dounams et planté environ 900.000 arbres en l’espace de vingt ans. Enfin il a contribué à la fondation des villes telles que Tel-Aviv, à l’élargissement de Haïfa, soit en y achetant d’immenses étendues de terrain, soit en fournissant des emprunts, soit en fondant des colonies suburbaines.» Tel est en résumé, d’après les données d’un sioniste peut-être légèrement porté à l'exagération, le bilan de l’œuvre réalisée par le Fonds national juif.
Le Fonds de reconstruction. A côté du «Keren Kayemeth Leisrael », le sionisme a fondé à Londres,
en 1920, un autre organisme financier, le «Keren Hayessod» ou «Fonds de reconstruction». Depuis 1926, la direction en est à Jérusalem, aux mains de l’Agence juive. Alors que les fonds du «Keren Kayemeth Leisrael» proviennent de donations, ceux du «Keren Hayessod» sont constitués «par des versements annuels fixes, affectant la forme de taxation volontaire en rapport avec les revenus du donateur ».
Les ressources ainsi recueillies – la plupart viennent d’Amérique – sont gérées par le Comité exécutif de l’Agence juive, qui en consacre la majeure partie à la colonisation agricole, l’autre à la colonisation urbaine.
Comme le Fonds national juif, le Fonds de reconstruction a acheté de vastes étendues de terrain, en particulier dans les plaines de Saron et d’Esdrefon. Il a permis aux colons de les assainir – c’était autrefois des marais insalubres – et de lés fertiliser.
Les produits agricoles.Tout le monde connaît les oranges dites de Jaffa, qui sont délicieuses quand on les mange, mûries à point, en Palestine, mais qui, arrivées en France, n’ont plus du tout le même goût ni la même saveur. La culture de l’orange en Palestine remonterait aux temps romains. Mais quels progrès elle a faits depuis lors! Il faut voir aujourd’hui les immenses plantations de la plaine de Saron. C’est surtout au cours de ces vingt dernières années que les colons sionistes ont développé la culture orangère. Elle occupe aujourd’hui, au dire de M. Tolkowski, 250.000 dounams. Mais comme la plupart des plantations sont encore trop récentes, «la récolte d’exportation ne fait, en ce moment, que dépasser légèrement 5 millions de caisses». D’ici une douzaine d’années, on espère qu’elle atteindra 18 à 20 millions de caisses. Mais ce pronostic n’est-il pas un peu trop optimiste? Sans doute, les oranges de Jaffa sont des plus recherchées, mais leur réputation passe plus facilement les mers qu’elles-mêmes. A moins d'être cueillies vertes, elles ne supportent pas de longs voyages. On signale le cas de cargaisons entières qui, arrivées à des destinations trop lointaines, ont dû être jetées à la mer. Par ailleurs, les sionistes ne semblent pas compter avec la concurrence étrangère.
L’Espagne, l’Italie, le Brésil, l’Afrique du Sud, font, comme on le sait, une exportation considérable d’oranges, dont certaines variétés peuvent rivaliser, pour la saveur, pour l’arôme, avec celles de Jaffa. Et voici que l’Egypte, non contente de s’enrichir avec le coton, se met aussi à produire des oranges, en particulier des mandarines.
En même temps qu’à la culture de l’orange, les colons sionistes ont aussi consacré des sommes énormes d’argent et d’efforts à celle de la vigne. Dans les plaines, sur le littoral, ils ont fait, aux endroits appropriés, d’immenses plantations, en particulier aux environs de Richon-le-Sion. Evidemment, l’on ne saurait comparer le vin de Palestine à celui des crus français, italiens ou espagnols. Mais il a un goût de terroir, un certain bouquet qui n'est pas désagréable.
Le malheur, c’est que ce vin ne trouve pas, ou du moins très peu, de dérusse lui ont, depuis plusieurs années, fermé leurs portes. Et ceux des autres pays préfèrent nos bordeaux et nos champagnes. Les exportations de vin bouchés. Les marchés américain et palestinien qui s’élevaient, en 1920, à 65 000 livres sterling, sont tombées, en 1930, à 30 000 livres. Et l’on ne signale pas qu’elles aient repris depuis lors. Quant au tabac, les colons d’Israël n’ont commencé à le cultiver sur une grande échelle qu’en 1921, après l'abolition de la restriction imposée par la loi ottomane. Aujourd’hui, la production, selon des statistiques qui semblent un peu forcées, serait d’environ mille tonnes par an.
Revenus dans le pays de lait et de miel de leurs ancêtres, les sionistes ne pouvaient manquer à la tradition de produire du miel. Plus de 150 tonnes, assure-t-on, sont produites chaque année, et presque toute cette quantité est exportée. La majeure partie est du miel d’oranger, mais il se fait aussi des miels de thym sauvage et d’eucalyptus. En ce qui concerne les produits agricoles bruts, les exportations sont montées, en 1933, à près de 2 millions. La Palestine envoie de l’orge en Angleterre, en Belgique et en Grèce du sorgho et du maïs en Belgique, aux Pays-Bas, en Grèce et en Syrie des pois chiches et des lentilles en France du sésame en France et en Italie des raisins en Egypte des amandes un peu partout.
Avant l’arrivée des colons juifs, «le cheptel en Palestine ne comprenait que des bêtes de somme buffles, chameaux et ânes la laiterie était dans un état tout à fait rudimentaire et ne produisait que de faibles quantités de beurre et de fromage. Aujourd’hui, de nombreuses laiteries modernes sont équipées selon les derniers progrès de la technique le cheptel comprend des vaches et des taureaux de race un lait d’excellente qualité est produit, ainsi que de grandes quantités de beurre, de crème et de fromage, et la distribution en est assurée par la Société coopérative Thunvah». On a aussi importé des volailles de race qui fournissent des œufs d’excellente qualité ».
Perspectives d’avenir. Reste à savoir si la colonisation agricole est encore susceptible de se développer à l’avenir. Les sionistes, eux, en sont absolument convaincus. Mais il semble, au contraire, qu’ils vont audevant de grandes déceptions.
Selon M. Sanua, le Fonds national juif aurait déjà acheté 500 000 dounams de terrain. Plus modeste et vraisemblablement plus exact, M. Granowsky réduit d'’ailleurs ces 500 000 dounams à 336 000. D’un autre côté, la «Palestine Jewish Colonization Association» en possède environ 450 000. Ces derniers temps, pour recueillir les juifs allemands chassés par le régime hitlérien, l’Agence juive aurait encore étendu dit-on, le patrimoine d’Israël.
Mais, en admettant que les sionistes possèdent aujourd’hui 1 million de dounams en Palestine, cela ne représente, à peu près, que le sixième de la superficie de la terre des ancêtres.
Au début, les Arabes étaient tout heureux de voir affluer les millions du sionisme; ces pauvres fellahs, qui n’ont jamais eu une excessive ardeur au travail de la terre, ne demandaient pas mieux que de la céder du moment que cela mettait quelques piastres dans leur bourse généralement vide. Seulement, à
la longue, la crainte leur est venue que, à force d’acheter des dounams, les juifs ne finissent par les déposséder, les exproprier et les expulser. Et ils ont prié la puissance mandataire de mettre une limite à ce «bedit gommerce». L’Angleterre l’a fait d’autant plus volontiers qu’elle ne tenait pas du tout à voir se constituer en Palestine une puissance économique susceptible de prendre un jour une prépondérance politique et de lui créer de graves difficultés.
C’est une des raisons pour lesquelles il ne semble pas que la colonisation juive soit appelée à un développement considérable.
Il en est une autre qui tient à la nature même de la Palestine. Sans doute elle a des plaines fertiles – et les sionistes en possèdent d’ailleurs la majeure partie, – mais allez donc planter des vignes ou des orangers sur les rochers de la Judée «La majeure partie du territoire palestinien, dit justement le P. Bonsirven, est occupée par des montagnes souvent arides, toujours ingrates un labeur acharné n’y obtiendra qu’une maigre récolte: donc, nécessairement, population clairsemée, condamnée à une besogne très dure et peu rémunératrice. »
M. Granowsky n’en prétend pas moins « qu’il y a encore de la place, en Palestine, pour au moins 50.000 familles de fermiers». Vraiment, on se demande où elles iront planter des vignes et des orangers. Jusqu’ici, le nombre des agriculteurs ne dépasse pas, assure-t-on, 7.000 (les sionistes donnent évidem-ment, comme on l’a vu d’autre part, des chiffres très différents). Et M. Vandervelde écrivait dans l’Univers Israëlite (juin 1928) que, «si l’on parvient à doubler ce chiffre dans les dix prochaines années, ça sera un très grand résultat, le maximum peut-être qu’on puisse obtenir en matière agricole».
(A suivre.) JEAN REVEL.
La Croix,
Samedi, 8 Septembre 1934,
55e année N° 15.814, p. 1-2
Gallica
ISRAËL
sur la terre des ancêtres
3.
L’immigration juive
Son essor depuis 1922. Dès ses débuts, le sionisme a trouvé, parmi le peuple dispersé, et, en particulier, dans les ghettos de l’Europe orientale, des recrues tout heureuses de revenir sur la terre d’Israël. Mais c’est à partir de 1922, c’est-à-dire à partir du jour où le Fonds national juif et le Fonds de reconstruction eurent recueilli un certain budget, que l’immigration des pionniers sionistes, des haloutzims, prit vraiment son essor.
En 1922, près de 8000 juifs débarquent en Palestine en 1923, un nombre à peu près égal vient chercher l’hospitalité sur la «terre d’amour» en 1924, l’immigration passe au chiffre de 13.000, et en 1925, elle s’élève à 34.000, battant un record qui ne sera dépassé qu’en 1933. Mais le sionisme souffre alors de ce que certains de ses chefs ont appelé une crise de croissance. La Palestine ne peut pas recevoir, ne peut pas nourrir, du jour au lendemain, tous ces enfants qui reviennent à elle. Ces pauvres haloutzims, accourus de toutes parts avec plus d’ardeur que d'argent, ne tardent pas à connaître les plus amères déceptions les difficultés de la vie, l’ingratitude du sol, la maladie, le chômage, la misère. Ils avaient sans doute le courage, l’esprit de sacrifice et surtout l’espoir, mais cela ne nourrit pas. Un grand nombre d’entre eux durent reprendre le chemin des ghettos de Roumanie, de Galicie et d’ailleurs. Cependant, l’immigration devait encore en amener près de 13.000 en 1926.
Mais en 1927, la crise sévit plus que jamais les caisses du Fonds national juif sont presque vides; les riches coreligionnaires d’Amérique, d’Allemagne et de Hollande ne sont plus guère généreux, et l’amour de Sion faiblit dans le cœur des dispersés. Toutes ces raisons font que l’immigration tombe alors à moins de 2.000.
Elle se relève un peu en 1929, où plus de 5000 juifs rentrent en Palestine. Mais voici que, cette même année, un grave conflit surgit entre juifs et Arabes à propos des quelques vieilles pierres qui constituent le Mur des Pleurs, à Jérusalem (entre parenthèses, ce ne sont pas les sionistes, presque tous irréligieux, qui les arrosent de leurs larmes). Le conflit s’envenime. Craignant d’être chassés, les Arabes en appellent à Allah et entreprennent une sorte de petite guerre sainte; bientôt le sang coule, et la Grande-Bretagne doit mobiliser des troupes pour rétablir l’ordre.
Les juifs croient alors avoir l’Angleterre de leur côté quand le Foreign Office fait paraître un rapport où, en termes prudents, il leur impute la responsabilité des troubles autant, sinon plus qu’aux Arabes. Puis, pour éviter le retour de ces sanglantes querelles, l’Angleterre prend la décision de «contingenter», comme on dit aujourd’hui, l’immigration hébraïque. Aussi, au cours des années 1930 et 1931, il n’entre guère plus de 8.000 juifs en Palestine.
En 1932, le contingentement ne joue plus les organisations financières du sionisme ont recueilli de nouveaux capitaux. Il s’ensuit que le recrutement du Foyer national s’accroît sensiblement. La Palestine reçoit alors plus de 10.000 juifs.
L’année suivante, l’immigration juive bat le record. On évalue à plus de 40.000 le nombre d’amants de Sion qui débarquent en Palestine dans l’année 1933. La plupart viennent d’Allemagne ou le national-socialisme leur fait une persécution acharnée. Sans savoir où planter leur tente, sans être sûrs de trouver des moyens d’existence, ces proscrits se réfugient dans le pays ancestral, où les guide une sorte d’instinct héréditaire.
M. Grunebaum prétend que «la Palestine d’aujourd’hui est tout à fait prête à recevoir cette grande immigration de 40.000 personnes par an». Voilà un sioniste qui, ma parole, ne doute de rien. Il renchérit singulièrement sur M. Granowsky qui, avec un optimisme déjà excessif, accordait de la place à «50.000 familles de fermiers», après quoi il n’en resteraitplus. Pour M. Grunebaum, il en restera toujours. A raison de 40.000 immigrés par an, dans cinquante ans les 15 millions de juifs dispersés à travers le monde seraient rassemblés sur la terre des ancêtres. Pour cela, il faudrait que la Palestine s’étendît presque jusqu’à la Perse. M. Grunebaum doit se faire une géographie à sa manière!
Les industries sionistes. C’est principalement à la colonisation agricole que le sionisme, dès ses débuts, n’a cessé de consacrer son activité et ses ressources. Mais il n’a pas négligé pour autant le développement industriel de la patrie retrouvée. A vrai dire, ce développement n’est pas très considérable, et il ne saurait l’être, car, en dehors des calcaires à ciment et des matières minérales de la mer Morte, le sol palestinien manque de matières premières. Le sionisme s’est du moins efforcé d’exploiter, dans la mesure de ses moyens, celles qu’il lui offre.
La «Palestine Electric Corporation», Société au capital de 1 million de livres, a capté l’énergie électrique au Jourdain et fournit aujourd’hui la lumière et la force motrice à toute la Palestine, sauf à Jérusalem, qui est servie par la «Jérusalem Electric Corporation».
Les ressources minérales de la mer Morte sont exploitées, mais d’une manière encore assez réduite, par la «Palestine Potash Limited». En 1933, l’exportation de chlorure de potassium a atteint près de 10.000 tonnes.
A Haïffa, les usines Nesher, qui, dit-on, ne cessent de se développer, fabriquent un ciment de bonne qualité. Jusqu’ici, la majeure partie de la production a été employée par les sionistes eux-mêmes pour les constructions rurales et urbaines. Mais, depuis quelques années, la fabrique Nesher arrive à exporter une dizaine de milliers de tonnes par an.
Le vin et les alcools sont traités dans une quarantaine de distilleries. Le baron E. de Rothschild a fait construire dans ses deux principales colonies vinicoles, Richon-le-Sion et Zikron-Jacob, d’immenses caves tout à fait modernes. Malheureusement, le vin y reste «stocké», car, comme nous l’avons déjà dit, il ne trouve presque plus de débouchés.
L’industrie de l’huile et du savon subit, depuis quelques années, un déclin sans cesse croissant. Auparavant, Naplouse expédiait son savon en Egypte, mais aujourd’hui le gouvernement égyptien impose des droits de douane presque prohibitifs.
Signalons en outre les 200 moulins à farine dont la production atteint; selon l’évaluation de M. Chenkar, une valeur de 1 million de livres par an.
A côté de ces industries qui utilisent les ressources naturelles du pays, le sionisme en a créé quelques autres qui vivent, ou plus exactement qui vivotent, sur l’exportation étrangère. Il y a aujourd’hui en Palestine ce qu’on ne voyait presque pas avant l’arrivée des colons juifs des fabriques de bas, de souliers, de sacs à main deux fabriques d’allumettes; des usines de tissage des usines de matériaux de constructions des imprimeries, favorisées par la renaissance de la langue hébraïque.
Parallèlement à l’industrie, le sionisme s’est également efforcé de développer l’artisanat. L’artisanat a d’ailleurs toujours éte pratiqué en Palestine souvenons-nous que saint Joseph était charpentier.
Aujourd’hui, les tisserands de Medjal, près de Gaza, font de très belles cotonades destinées aux robes des indigènes. A Tel-Aviv, nouvelle capitale juive, on confectionne soit à là machine, soit à la main, ces châles bariolés que les juifs pieux revêtent pour la prière.
A Jérusalem, et dans le nord de la Palestine, on fabrique une poterie que les sionistes trouvent très artistique. Tous les pèlerins de Terre Sainte ont acheté, à Bethléem, des chapelets de nacre et des bibelots en bois d'olivier.
A Gaza, on fabrique même… des poignards et des épées!
(A suivre.) JEAN REVEL.
La Croix,
Di-Lu, 9/10 Septembre 1934,
55e année N° 15.815, p. 1-2
Gallica
ISRAËL
sur la terre des ancêtres
4.
Le commerce (1)
On peut dire que tout le commerce palestinien est concentré au port de Haïffa. Les sionistes ont tout de suite vu le parti qu’ils pouvaient tirer de ce port, avantageusement situé dans une baie profonde et accessible à tous les paquebots. Aussi, dès 1923, envisagèrent-ils de l'agrandir et de le moderniser. Les travaux ne commencèrent qu'en 1919. Ils ont été achevés dans les premiers mois de 1933, et le nouveau port a été inauguré en octobre de la même année. Tel qu’il est actuellement – car on songe encore à le perfectionner, – le port de Haïffa peut recevoir des navires de toute taille. Les paquebots de 30 000 tonnes eux-mêmes peuvent venir à quai.
Quant au trafic, les sionistes ne doutent pas qu’il prenne une importance et une ampleur considérables. Ils espèrent même que, lorsque la ligne de chemin de fer Bagdad-Hâïffa sera réalisée (mais elle n’est encore qu’en projet), Haïffa deviendra le débouché naturel de l’Arabie, de l’Irak et de la Perse. Et ils voient déjà le pétrole de Mossoul arrivant sur les quais du nouveau port.
Pour le présent, «le déchargement, à Haïffa d’une branche du pipe-line huilier d’Irak, écrit la Bourse Egyptienne, est actuellement assuré, et 2 millions de tonnes pourront être contenues annuellement. Une concession pour l’extraction du sel de la mer Morte est actuellement à l’étude. On estime que l’on pourra exporter de Haïffa plus de 100.000 tonnes de potasse par an».
En ce qui concerne le petit commerce, il n’est pas douteux que le sionisme lui a apporté un développement sensible, en particulier dans les grandes villes comme Jérusalem, Jaffa, Haïffa. A Tel-Aviv, ce petit commerce a pris une extension bien supérieure aux besoins de la population. Aussi, au cours des années difficiles où l’émigration égalait et dépassait même l'immigration, y eut-il de nombreuses faillites.
Aujourd'hui, les sionistes prétendent que le commerce de Tel-Aviv «marche bien ». Il le doit, en grande partie, à la politique antisémite du nationalsocialisme qui, en expulsant les juifs d’Allemagne, a envoyé à la nouvelle capitale d’Israël des flots d’immigrés et, avec eux, des flots d’argent. Ce sont ces proscrits qui ont, en quelque sorte, renfloué le commerce de Tel-Aviv. Mais combien de temps durera cette ère de prospérité ? 7
Tel-Aviv et la Foire du Levant. «Une Jérusalem nouvelle est sortie du désert, toute brillante de clarté.» C’est en ces termes qu’un poète d’Israël salue la naissance de Tel-Aviv, la ville de la joie. Les sionistes sont fiers, et cette fierté est légitime, de cette cité moderne qu’ils ont bâtie exclusivement de leurs mains, avec leur argent, sans qu’un musulman ou un chrétien n’y ait apporté une piastre ni une goutte de sueur. «Il n’est pas une pierre de Tel-Aviv, dit-on, qui ne soit authentiquement juive.»
Curieuse ville, merveilleusement située sur les bords de la mer, près de Jaffa. Les sionistes ont vu grand et ils ont fait grand. Ils ont voulu se donner une capitale digne des ancêtres qui construisirent le Temple de Salomon, dont il ne reste plus que la lamentable ruine où les vieux juifs de Jérusalem vont se lamenter. On dit qu’ils ont voulu donner la réplique à la somptueuse Héliopolis égyptienne qui élève ses palais dans le désert, près du Caire. Dans ce cas, il faut bien convenir que la réplique n’égale pas le modèle. Mais de là à dire que Tel-Aviv n’est qu'une grossière imitation…
Il y a vingt-cinq ans, l’emplacement où s'élève aujourd’hui la nouvelle capitale du judaïsme n'était qu’une vaste étendue de dunes. Avant la guerre, les colons avaient déjà construit un certain nombre de maisons; mais la population de Tel-Aviv comptait à peine, en 1914, 4.000 habitants. Jusqu’alors, les Turcs s’acharnaient à paralyser les efforts des amants de Sion, qu’ils traitaient en suspects. Ce n’est qu’à partir du jour où la Palestine fut placée sous le mandat britannique, et surtout après la déclaration Balfour, que les sionistes firent surgir du sable, entre de larges et superbes avenues plantées de palmiers, maisons, buildings, écoles, banques, fabriques, cafés, cinémas…
Cela n’alla pas toujours sans difficultés. A certains moments, les entrepreneurs manquèrent d’argent et durent réduire leurs ouvriers au chômage. Mais, si dures fussent-elles, ces crises et ces épreuves passagères n’empêchaient pas les sionistes de persévérer dans leur œuvre. On sollicita de nouveau la générosité des gros banquiers on fit des emprunts, et l’édification de Tel-Aviv se poursuivit. En 1927, la «nouvelle Jérusalem comptait déjà 45.000 habitants. Aujourd’hui, si l’on en croit les statistiques sionistes, la population de Tel-Aviv s’élève à 80000, et l’on construit toujours de nouvelles maisons à un rythme accéléré.
Pour célébrer le 25 anniversaire de la naissance de Tel-Aviv, les sionistes y ont organisé, cette année, une Foire-Exposition qu’ils appellent, avec une fierté quelque peu prétentieuse, la grande Foire du Levant. Il y en avait déjà eu cinq auparavant, mais celle-ci les dépasse considérablement en importance et en ampleur. Les différents pavillons couvrent une superficie de 100.000 mètres. Comme de juste, c’est la Palestine qui occupe la place d’honneur dans cette Exposition qui «englobe, dit M. Dizengoff, maire de Tel-Aviv, les résultats de plusieurs années d’efforts incessants et de travail dans les domaines de l’agriculture, de l’industrie, du commerce, de la colonisation rurale et urbaine, de la culture et des progrès sociaux».
Laissons encore la parole à M. Dizengoff «Les institutions juives de colonisation, écrit-il, montrent, dans un pavillon spécial, les résultats obtenus dans l’œuvre de colonisation du pays. Dans un autre pavillon, la «Palestine Jewish Colonization Association» expose le résultat de nombreuses années d’expériences. L’expansion impressionnante (c’est le maire de Tel-Aviv qui parle!) des industries palestiniennes peut être observée dans une grande salle où les visiteurs ont des preuves tangibles et frappantes de l’extraordinaire (c’est toujours le maire de Tel-Aviv qui parle) développement industriel du pays. Le pavillon installé par la Fédération des fermiers juifs passe en revue les progrès qui ont été
réalisés dans les méthodes de culture du pays, celle des oranges en particulier, et de l’accroissement de la colonisation agricole. La Fédération générale du travail juif concentre également, dans un pavillon distinct, les résultats acquis par les pionniers des nouveaux établissements, dans l’agriculture, l'industrie et le mouvement coopératif.»
L’Exposition ne se borne pas au côté économique et matériel. Elle a voulu aussi montrer ce que le sionisme a fait dans l’ordre social et intellectuel et révéler aux visiteurs «les progrès réalisés dans les domaines de l’instruction, de l’hygiène, de la santé publique et de beaucoup d’autres activités sociales…»
Quant à la participation étrangère, les organisateurs de la Foire assurent qu’elle réunit près de 2000 exposants. Certains pays comme la Grande-Bretagne, la France, la Belgique, l’Italie, la Bulgarie, la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Roumanie, l'Autriche, etc., ont leurs sections propres. D’autres, tels que le Danemark, la Hollande, la Norvège, le Portugal, la Turquie, les Etats-Unis, l’Egypte, les Indes, ont envoyé des exposants qui ont installé leurs stands dans les pavillons des autres.
L’Exposition de Tel-Aviv montre que le sionisme, loin d’avoir fait faillite comme le prétendent certains de ses détracteurs, peut au contraire se réclamer de réalisations qui ont singulièrement amélioré la situation économique de la Palestine.
Sous ce rapport, il n’est pas impossible qu’il accroisse encore son activité, mais elle sera nécessairement limitée, d’une part par les possibilités matérielles du pays, d'autre part par la politique britannique.
Quant à l’avenir politique du sionisme, les juifs eux-mêmes se rendent compte que le rêve de réunir tout Israël sur la terre des ancêtres, de fonder un Etat autonome, de ressusciter le royaume de Juda, est irréalisable. Il se peut cependant que, contre tout espoir, ils persistent à le poursuivre.
JEAN REVEL.
FIN
(1) Cf. Croix du 6, 7 et 8 septembre.
Cap. 2
Top supra ↑ 23.10.1934
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Lettre de Jérusalem
La Croix,
Mardi, 23 Octobre 1934,
55
e année N° 15.852, p. 3
Gallica
Pour les intérêts catholique. - S. B. Mgr Louis Barlassina, patriarche latin de Jérusalem, vient de présider une série de réunions ecclésiastiques au cours desquelles on a discuté les plus graves problèmes du catholicisme en Terre Sainte.
Dans sa lettre d’invitation, adressée aux supérieurs de toutes les communautés religieuses, Mgr le patriarche expliquait le but de ces conférences dans les termes que voici «La situation de nos œuvres catholiques en Palestine, qui va en s’aggravant, me fait sentir la nécessité d’un échange de vues sur ce qui nous intéresse tous, afin de grouper nos efforts pour une action commune en face des dangers qui se dressent devant nous.»
Les sujets mis à l’ordre du jour ont été les suivants «Les privilèges des catholiques en Terre Sainte, impôts et taxes, les écoles, moralité, Action catholique et propagande protestante.»
Les divers rapports seront réunis en une brochure et distribués à tout le clergé du diocèse.
L’immigration juive. En s’occupant de l’immigration juive en Palestine, le Haaretz, organe du Comité exécutif sioniste, affirme que dans les premiers huit mois de l’année 1934 sont entrés en Terre Sainte 23.000 israélites et que 17.000 sont attendus avant la fin de décembre. En calculant qu’à peu près 10.000 personnes se sont établies en Palestine illégalement, on peut dire que, en chiffres ronds, au cours de 1934, la population de Erez Israël aura augmenté de presque 50 000 nouveaux immigrés.
En faisant une comparaison avec le passé, le journal considère comme assez bonne cette année, car elle a battu toutes les statistiques précédentes. En 1933, la population israélite en Palestine a eu une augmentation de 20 pour 100. Considérée en relation avec le reste de la masse du pays, elle est passée depuis 1931 jusqu’à aujourd’hui de 17 à 25 pour 100. Les juifs forment à présent un quart de toute la population de Terre Sainte.
Le
Haaretz conclut ses commentaires en faisant remarquer que, quoique l’immigration israélite soit toujours en augmentation, la Palestine est cependant à même d’absorber encore des milliers de juifs, et il accuse la puissance mandataire de créer des difficultés à l’immigration du sionisme en
Erez Israël.
L’opposition revisionniste. Il est notoire que le revisionnisme n’entend pas désarmer vis-à-vis des directives de la politique officielle du sionisme. Or, une délégation a demandé, en son nom, un rendez-vous au haut commissaire britannique de Jérusalem avant son départ pour Londres, et au cours de cette conversation, elle a réaffirmé les revendications de son parti.
Dans ces pourparlers avec le représentant de la puissance mandataire, M. von Veisel, chef de la délégation, a déclaré que les revisionnistes ne reconnaissent pas l’agence juive, à laquelle ils méconnaissent le droit de parler en leur nom. Malgré leur petit nombre en Palestine, ils constituent une grande force dans le monde israélite. S’ils s’opposent à la politique de la puissance mandataire, cela ne provient pas du fait qu’ils aient de la haine contre l’Angleterre, mais de la conviction que la conduite du gouvernement de Jérusalem nuit aux intérêts mêmes de la Grande-Bretagne.
L’Angleterre ne peut compter sur les israélites que lorsque ceux-ci seront nombreux et forts. C’est donc dans son intérêt de permettre une immigration juive en masse.
M. von Veisel confirma aussi l’opposition de son parti contre le projet de la création d’un Conseil législatif, en considérant cette innovation comme un obstacle au développement du Foyer national juif. Dans sa réponse, le haut commissaire britannique se contenta de rappeler que la Grande-Bretagne s’efforce d’accomplir scrupuleusement sa fonction de puissance mandataire. Et il ajouta que, comme le gouvernement de Londres a fait des promesses formelles soit aux Arabes, soit aux juifs, il doit faire tout son possible pour rendre justice aux deux parties.
Pour une entente avec les Arabes. La question d’une entente entre les sionistes et les indigènes de Terre Sainte est une de celles qui reviennent sur le tapis à chaque changement de saison. Il ne faut donc pas s’étonner si elle vient d’être discutée à nouveau. M. Ben Gurion, membre du Comité exécutif de l’agence juive, s’en est occupé avec un journaliste auquel il a fait les déclarations suivantes «Nous faisons de grands efforts en vue d’atteindre un accord avec les Arabes. Nous sommes convaincus qu’une entente sincère et durable peut être basée seulement sur la reconnaissance intégrale des besoins, des buts et des droits du peuple hébraïque en Palestine. Ces finalités ne sont pas
en contraste avec les intérêts des Arabes de la Palestine et des pays avoisinants.»
Interrogé au sujet du point de vue du Comité exécutif vis-à-vis du projet u Conseil législatif, M. Ben Gurion a déclaré qu’il s’opposera avec la dernière énergie à tout changement constitutionnel capable de réduire les droits que les Israélites ont sur la Palestine. Et il a conclu ainsi «Nous devons lutter contre toute tentative tendant à créer ans le pays un régime constitutionnel sur la base de l’actuel statu quo de Terre Sainte.»
Un monument à Herzl. Dans certains milieux juifs de Palestine, on pense d£ériger un gigantesque monument à Théodore Herzl, le fondateur du sionisme politique moderne. Ce monument sera bâti au bord de la mer à Tel-Aviv. Une énorme statue du grand chef juif, comme celle de la Liberté à l’entrée du port de New-York, donnera, de la hauteur du bâtiment, la bienvenue aux immigrants israélites. Sur la partie faisant face à la mer sera gravée une inscription en hébreu exprimant les désirs de Herzl: «Ma volonté pour le peuple juif bâtissez votre Etat d’une telle façon que les étrangers se sentent chez eux avec vous.»
La statue du grand sioniste montrera avec son doigt le but désiré: Jérusalem. L’Institut contiendra des manuscrits de Herzl. Il sera en outre appelé à devenir le Panthéon du sionisme. L’accès du hall central sera fermé par une immense porte en bronze, roulant sur des rails, et à l'intérieur sera contruit un amphithéâtre.
M. A.